The show must go on !

La capitale de l’Auvergne représente le Graal des apprentis cinéastes. Il s’agit tout simplement du plus grand festival au monde dédié aux courts métrages.

Et vous savez quoi ? Il se déroule en ce moment même.

Pour la première fois j’assiste aux projections d’un festival pro. A distance évidemment, mais ça fait un bien fou quand même. C’est sûr on voit bien la différence de niveau avec des festivals de moindre envergure.

Si vous ne le saviez pas, la définition juridique d’un court métrage est un film allant jusqu’à 59 minutes maximum. Dans la pratique ils durent plutôt entre 15 et 20 minutes en général.

Comme évoqué dans les épisodes précédents, je ne fais pas grand-chose d’autre de mes week-ends que de regarder des films. J’ai dû y passer au moins une dizaine d’heures ce week-end. Alors j’ai décidé de vous emmener dans un tour du monde express de ce qui se fait de mieux dans le cinéma mondial actuellement, en format court.

Si vous voulez en profiter vous aussi, fermez tout de suite cette page et courez sur le site :

https://online.clermont-filmfest.org/

Le Pass coûte 12 euros et vous pouvez vous envoyer autant de films que vous pouvez en ingurgiter. All you can eat … mais, car il y a toujours un mais, avec une durée de visionnage limité (jusqu’au 6 février)

Là je trouve que c’est bien dommage que les festivals n’aient pas encore pris le train de la modernité des usages. Il leur faudra bien comprendre un jour que le temps réel des séances et projections physiques n’est pas le même que celui du streaming et de la vision à distance chez soi.

L’important est que les films soient vus, par le plus grand nombre. C’est encore plus vrai pour une économie fragile comme le court métrage. Et c’est encore encore plus vrai en période de pandémie où les séances publiques sont interdites.

Quel dommage de ne pas utiliser une locomotive comme Clermont sur une plus longue distance.

Bref il y a encore du chemin pour optimiser le modèle économique du cinéma en France. Mais cessons là les polémiques et plongeons enfin dans le grand bain.

Je vous présente ma sélection : uniquement mes films préférés parmi ceux que j’ai pu voir, la crème de la crème donc !

A tout seigneur tout honneur, nous sommes géographiquement au cœur de notre beau pays, démarrons donc par la section française.

Compétition nationale

DIEU N’EST PLUS MÉDECIN

Marion Le Corroller / France / 2020 / Fiction / 28′

Jeune interne aux urgences, Margaux est à bout de nerfs. Lors d’une énième nuit de garde, la jeune femme oublie malencontreusement une patiente sur un brancard. Encore sous le choc, Margaux est priée de vite reprendre son travail. C’est alors que son corps se met à transpirer du sang de façon incontrôlable.

Voici une histoire angoissante au sein des urgences hospitalières. La cinéaste instille avec succès une grosse dose de stress qui va crescendo. Plastiquement c’est réussi mais il faut tenir le coup pour pouvoir regarder toutes les scènes. Scary !

MALABAR

Maximilian Badier-Rosenthal / France / 2020 / Fiction / 24′

La nuit, alors qu’ils rentrent chez eux en banlieue, Mourad et Harrison font la rencontre de Marcel, un vieil homme d’origine vietnamienne.

Le scénario est intéressant car il recèle plusieurs surprises. On se laisse embarquer facilement dans cette soirée entre 2 potes qui s’annonçait cool et qui vire au cauchemar. Malheureusement les acteurs ne sont pas toujours très crédibles.

Le plus intéressant est le mélange entre une intrigue qui pourrait être tragique et le ton de la comédie, choisi pour la mettre en scène.

LE CERCLE D’ALI

Antoine Beauvois-Boetti / France / 2019 / Fiction / 15′

Dans un centre d’accueil, Salman, un jeune Afghan, se prépare pour son audition à la Cour nationale du droit d’asile, l’obligeant à se confronter au souvenir de son premier et unique match de bouzkachi, le sport national d’Afghanistan.

Une photo superbe et une très belle histoire d’un réfugié afghan arrivé en France et en attente d’une régularisation.

Le sujet des sans-papiers m’a souvent déçu au cinéma. De par mon histoire je suis très sensible à cette thématique mais je trouve que l’angle d’attaque est très souvent à sens unique et à portée limitée dans le cinéma français.

Dans ce film au contraire, c’est toute la complexité et la bravoure des parcours de migrants qui est illustrée à travers une magnifique course traditionnelle de chevaux en Afghanistan.

C’est la grandeur de la France d’avoir su projeter sa cinéphilie au-delà de ses frontières, avec notamment de nombreuses coproductions internationales.

Coup de cœur

GARE AUX COQUINS

Jean Costa / France / 2020 / Fiction documentaire / 19′

Tonio débarque en Corse. Il se promène dans les paysages de l’île et sur les applications de rencontre où il fait la connaissance d’un utilisateur dénommé L’Oracle.

Attention, les pédales débarquent en Corse !

Au-delà du plaisir de voir de belles images de mon île de Beauté, j’ai été aussi agréablement surpris de toutes les trouvailles visuelles de ce joli film. Les effets graphiques contribuent brillamment au propos : se construire un personnage et se trouver soi-même dans le jeu de la séduction.

Mais le plus fort dans ce film est qu’il réussit à mettre le spectateur à la place de ses personnages. Toute la puissance du cinéma est utilisée pour faire ressentir la difficulté d’être homosexuel, plus encore dans un milieu provincial et insulaire.

Au final c’est surtout la beauté et l’harmonie de l’amour entre ces deux hommes qui nous emporte.

NARVALOS

Bilel Chikri / France / 2020 / Fiction / 19′

Ali, jeune étudiant marocain, arrive pour étudier en France et doit séjourner quelques jours chez son cousin Mo. Il n’atterrira pas dans le Paris de ses rêves mais en banlieue, à Clichy-Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. Dans ce quartier populaire, la désillusion fera place à de belles rencontres.

Coproduit par Ladj Ly, le parrain des cinéastes de cités, ce film drôle est aussi un choc dans son genre réaliste. Tout simplement car la réalité crue des cités en France est choquante.

Comme souvent dans les films réussis, la laideur du quotidien est magnifiée par un humour ravageur qui met à distance tout sentiment de pitié. Question de survie, si tu ne prends pas du recul en te marrant avec tes potes, l’horreur des tours t’amènera au fond du trou.

Ici on n’a pas affaire à des comédiens pro, on le voit bien. Mais la générosité du discours et tous ces travellings fluides et leur galerie de personnages hauts en couleurs nous font bien rentrer dans l’histoire.

Compétition internationale

KOLLEGEN (Les collègues)

Jannis Alexander Kiefer / Allemagne / 2020 / Fiction / 14′

Deux artisans, Uli et Didi, fabriquent une croix gammée dans leur atelier perdu en zone rurale, en s’interrogeant sur les étranges visiteurs qui viennent de débarquer dans leur village.

Par touches progressives, les explications sont données au spectateur. En attendant on gamberge. Ce qui marche bien dans ce film, c’est qu’il nous place face à nos représentations. Plaisant.

A LA CARA (En face)

Javier Marco / Espagne / 2020 / Fiction / 14′

Qu’on l’insulte, Lina, elle s’en fiche. Mais ça doit être dit en face.

C’est typiquement une performance d’actrice et d’acteur qui fait l’essentiel de ce film très austère. L’histoire fait référence à la violence des écrits anonymes sur les réseaux sociaux.

Pour ma part je me dis heureusement qu’il y a l’écrit qui permet souvent plus de recul et de subtilité que l’oral, mais ça c’est une autre histoire …

ZOE AND HANH (Zoe et Hanh)

Kim Tran / États-Unis / 2019 / Fiction / 9′

Une jeune femme est prise en flagrant délit de mensonge par sa mère. Dans leur relation, déjà ébranlée par la mort d’un être cher, quelque chose semble alors se briser.

Ce film court est tranchant comme une lame. Précisément car il joue sur le fil du rasoir entre un sujet délicat et sensible (qui a déjà parlé librement de sexualité avec ses parents ?) et un ton comique et gras qui fait contraste.

GOD’S DAUGHTER DANCES (Shin-mi danse)

Sungbin Byun / Corée du Sud / 2020 / Fiction / 25′

Une danseuse transgenre, Shin-mi, est appelée à s’inscrire à l’examen médical préalable au service militaire.

Waouh, quel beau film ! Et pourtant le scénario est bien plus casse-gueule qu’une paire d’escarpins de Drag Queen.

La confirmation brillante que la Corée du Sud est assurément l’un des épicentres de la cinématographie mondiale depuis plusieurs années. Quand on prend un sujet là-bas, on va jusqu’au bout du truc.

La grande classe pour moi, vous commencez à le comprendre, est d’allier les réflexions les plus profondes avec la fluidité d’un récit maitrisé et qui progresse. Et ici on est servis, avec la question du genre au menu.

La photo est brillante, les interprètes tous excellents et la progression narrative imparable.

Coup de cœur

DISILLUSIONED (Désabusé)

Kyuho Sim / Corée du Sud / 2020 / Fiction / 23′

En pêchant, un jeune homme qui vit en marge de la société tombe sur un étrange sac. Soudain, un homme affublé d’une grosseur au menton fait irruption sous ses yeux.

Numero Uno sans conteste de la plus belle image. C’est filmé d’une manière absolument superbe. Chaque plan est un tableau. Le cinéaste arrive habilement à créer une tension qui va crescendo dans ce film de genre qui fait froid dans le dos.

A part ça, ce film sur la solitude est bien déprimant. A éviter si vous êtes déjà au 36e dessous !

COCKPERA (Coqpéra)

Kata Gugić / Croatie / 2020 / Fiction animée / 4′

Un opéra inspiré de la fable d’Ésope « Les deux coqs et l’aigle ».

Deux coq font un concours de ténor pour impressionner la poulette. Rigolo et bien senti dans la moquerie du mâle ridicule.

MASEL TOV COCKTAIL (Cocktail Mazel tov)

Arkadij Khaet, Mickey Paatzsch / Allemagne / 2020 / Fiction / 30′

Dima a frappé Tobi. On lui demande de présenter des excuses, mais il n’en est pas vraiment désolé. Il se met en route pour aller voir Tobi. Sur son chemin, il croise des personnes représentatives de la société allemande et se rend compte d’un problème récurrent : son identité germano-juive.

Excellent ce film. Comme d’autres précédemment il nous rappelle à quel point un film réussi développe une puissance de projection à nulle autre pareille.

Alors voilà comment après m’être transformé en réfugié afghan puis en touriste brésilien homosexuel, après avoir changé de sexe en Corée (eh oh faut pas tout raconter non plus), je suis devenu un jeune juif allemand d’origine russe et « qui fallait pas me faire chier ou je vous en colle une ! »

Une journée éprouvante à Clermont …

Mazel Tof, le genre de film que j’aurai aimé faire.

Coup de cœur

BABA

Sarah Blok, Lisa Konno / Pays-Bas / 2020 / Documentaire expérimental / 14′

Il y a quarante ans, Ceylan Utlu quittait la Turquie pour les Pays-Bas, avec pour projet d’étoffer sa vision socialiste par une connaissance du monde occidental dans l’espoir de revenir servir son pays. Sa fille, moitié néerlandaise, se demande pourquoi les choses ont tourné différemment en le questionnant sur l’intégration, les liens humains, la solitude.

Rien que pour les premières paroles, j’étais content d’avoir vu ce film.

Il y a un dicton turc :
Les mots sont tes prisonniers jusqu’à ce qu’ils sortent de ta bouche.
Mais tu es prisonnier d’eux une fois qu’ils sont sortis de ta bouche.

Ce qui est formidable dans les films courts, c’est la liberté de la forme. Tout est permis et l’expérimentation est bienvenue.

Ici le choc des cultures et des générations prend toute sa saveur dans ce dialogue entre le père et sa fille. La forme créative empêche de tomber dans un résultat plan plan.

A mon tour de me constituer prisonnier devant vous.
Je prends un grand plaisir à regarder les meilleurs courts métrages au monde. Mais un jour, viendra où je ne serai plus seulement spectateur.
Un jour ce sera mon tour d’aller parader à Clermont-Ferrand avec un film en compétition !

ANGH (Chef)

Theja Rio / Inde / 2020 / Fiction / 23′

1964, dans les zones les plus reculées du nord-est de l’Inde. Un chef de village, ancien chasseur de têtes, et son fils sont les derniers habitants à n’avoir pas encore été convertis au christianisme. Dans une grande solitude, ils tentent de résister à la pression sociale venue du monde nouveau.

Super space le film !

Le cinéma a aussi le rôle de nous faire découvrir l’Histoire sous un autre angle.

Je reconnais qu’il y avait de vraies longueurs dans ce film mais le message est important.

AYN LEVANA (Œil blanc)

Tomer Shushan / Israël / 2019 / Fiction / 20′

Un homme retrouve le vélo qu’on lui a volé, qui appartient à présent à un inconnu. Lorsqu’il tente de récupérer son bien, son humanité est mise à rude épreuve.

Le peu que je connais du cinéma israélien me fascine complètement. Les acteurs sont très bons, les techniciens aussi. Et c’est tout à fait le cas dans cet incroyable film, véritable tour de force.

Imaginez UN plan séquence de 20 minutes qui vous fait passer par tous les états, de la compassion à la colère, tout en présentant une métaphore très juste du pays d’Israël. On est happés par ce film à la mise en scène virtuose.

Coup de cœur

NANTONG NIGHTS (Une nuit à Nantong)

Leopold Dewolf, Emma Qian Xu / Chine, France / 2020 / Fiction / 12′

À Nantong, en Chine, Jian travaille comme chauffeur pour des clients trop ivres pour rentrer chez eux en voiture. Un soir, un passager demande à se faire déposer au poste de police.

J’ai bien aimé les couleurs nocturnes et l’ambiance ambiguë de ce film. La narration progresse bien et nous entraine facilement.

PAYDOS (Pause)

Öykü Orhan / Turquie / 2020 / Fiction / 18′

Zeliha, mère de deux enfants, est ouvrière dans une usine qui fabrique des casseroles en inox. Un jour, elle est licenciée sans préavis. Elle part donc à la recherche d’un nouveau travail, mais aussi d’un moyen de cacher sa situation à ses enfants.

Un film très touchant, sur les difficultés d’une mère seule.

Même si j’ai voyagé dans ma vie et connu d’autres réalités sociales que la mienne, les piqures de rappel sont parfois les bienvenues. Nous vivons en Europe de l’ouest dans une sécurité économique immense par rapport à la plupart des autres pays du monde.

HAPPY ENDING

Mei Liu / États-Unis, Chine / 2020 / Fiction / 15′

Employé dans une patinoire, un homme solitaire semble préférer la compagnie de la glace à celle de ses semblables. Un jour, inopinément déchargé de ses obligations, il profite de ce temps mort pour se rendre dans un petit salon de massage.

Pas évident de faire un film à partir d’un personnage aussi introverti. A cet égard, ce film est très touchant.

Ou comment rentrer dans la peau d’un personnage hyper complexé.

SPRÖTCH

Xavier Seron / Belgique / 2020 / Fiction / 20′

Flo doit partir à Marrakech pour le travail. C’est donc Tom qui s’occupe de Sam, leur fils de cinq ans. Flo lui a laissé une liste, mais Tom a oublié le cours de guitare du petit. Détestant être pris en faute, Tom sort la voiture du garage à toute vitesse. « Sprötch »… Tom vient d’écraser quelque chose.

Attention film belge bien Trash. Pour ma part j’adore l’humour belge mais ce n’est clairement pas le cas pour tout le monde.

Mettez les gamins devant leur Nintendo on vous dit !

Ici l’humour au troisième degré se double d’une dimension macabre soulignée par le Noir et Blanc austère. C’est grotesque, bien écrit, rythmé, bref c’est belge et je me suis bien marré.

ACCAMÒRA (Maintenant)

Emanuela Muzzupappa / Italie / 2020 / Fiction / 11′

Pour Antonio, la récolte des figues sur les collines arides de la Calabre est un rituel immanquable. L’endroit regorge de souvenirs et porte en lui les rires et la mélancolie du temps jadis. Antonio part en récolte avec son frère aîné, mais cette année, quelque chose a changé.

Bon je suis déçu de ne pas pouvoir m’enthousiasmer sur un film italien mais cette récolte est bien trop maigre à mon goût.

Ah si, nous avons au moins le prix du plus beau tarin du festival…

Ce n’est plus un nez, c’est un cap, une péninsule !

SEFID POOSH (Voile blanc)

Reza Fahimi / Iran / 2020 / Fiction / 20′

Une vieille femme apporte un fromage de brebis au petit Ahmad pour qu’il le donne à son père enseignant, dans l’espoir que ce dernier intervienne pour sauver son fils de la pendaison.

Une belle histoire où les jeunes garçons doivent apprendre à quitter l’innocence de l’enfance et devenir des hommes.

Là encore on voyage. Direction les montagnes iraniennes où il fait froid en hiver !

Ce film présente les rapports sociaux dans une communauté rurale à travers les yeux d’un enfant.

AL-SIT

Suzannah Mirghani / Soudan, Qatar / 2020 / Fiction / 20′

Dans un village du Soudan, Nafisa, une jeune fille de quinze ans, est amoureuse de Babiker. Mais ses parents ont arrangé son mariage avec Nadir, un homme d’affaires soudanais qui vit à l’étranger. Sa grand-mère, la puissante matriarche Al-Sit, en a décidé autrement. Mais Nafisa a-t-elle son mot à dire ?

Sans doute le plus beau film africain que j’ai jamais vu ! Superbement réalisé et interprété avec chaleur, c’est surtout parce que le sujet est profondément africain qu’il me plait autant.

Un très beau manifeste pour l’émancipation féminine jusque dans les villages reculés du Soudan.

Coup de cœur

DAVID

Zach Woods / États-Unis / 2020 / Fiction / 11′

David va mal. Et David aussi… Un homme très déprimé demande un rendez-vous en urgence à son psy, mais il n’est pas le seul à avoir besoin d’aide.

Très drôle et très bien écrit. Ce petit film présente aussi quelques trouvailles de mise en scène bien sympas. Dommage que ce soit si mal filmé, on a toujours l’impression que le cadre est trop petit, et sinon retravaillez le focus les mecs !

En conclusion, pour voyager en temps de confinement, rien de mieux que de se faire une toile à la maison.

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