Vous êtes une énigme faite femme. Et le mystère m’a toujours attiré

En réaction à l’actualité morose et sombre, je veux traiter d’un sujet joyeux. A la guerre qui sépare les Hommes en Ukraine, répondons par l’Amour qui les réunit.

Aujourd’hui nous allons nous intéresser à l’évolution des relations amoureuses en Europe depuis 2 siècles.
Un p’tit sujet léger et facile, comme ça en passant, mine de rien quoi !

Eyes Wide Shut

Comme souvent, la consommation de plusieurs programmes culturels sur des sujets proches m’a inspiré le thème d’un article.

Les différentes histoires écoutées à une période donnée se répondent les unes les autres et forment les entrelacs de notre pensée. Nos réflexions et nos convictions s’élaborent à partir des récits que nous écoutons.

Que nous le voulions ou non, nous sommes toujours façonnés par notre époque et notre milieu.

L’amour à la française

Une bien belle série a été diffusée sur le service public, il y a peu. De la Révolution française jusqu’à nos jours, comment l’Etat et les mœurs de la société régissent les rapports amoureux privés.

https://www.france.tv/france-3/il-etait-une-fois-l-amour-a-la-francaise/

Le format alterne la grande et la petite histoire, entre description de certains évènements historiques et témoignages de personnes publiques ou lambda sur leur propre vie amoureuse.

On apprend donc comment le Code civil de Napoléon instaure la condition d’épouse comme étant la propriété de leur mari !

Et on apprend aussi comment René est tombé amoureux de Ginette, la première fois qu’il l’a vue dans la ferme de ses parents en 1934.

Un peu inégal donc, ce programme reste malgré tout très instructif. Et il dessine en creux une autre histoire, l’émancipation des femmes en Europe.

Quartier rouge

Au rayon « Femmes libérées », j’ai également déniché la série TV flamande « Red Light » sur arte, une enquête policière dans le milieu de la prostitution à Anvers.

https://www.arte.tv/fr/videos/RC-022041/red-light/

La série Red Light

Plutôt bien écrite et mise en scène (à part la fin malheureusement), cette histoire bien dans l’air du temps montre le douloureux cheminement de 3 femmes vers la liberté.

Il y a bien certains clichés, parfois ça donne l’impression de voir toutes les pauvres femmes victimes de tous les méchants hommes.

Cependant beaucoup de scènes sonnent juste et il faut avouer que le récit est captivant. Quand on passe près de 7 heures un dimanche à regarder une série, c’est que le ressort narratif est quand même puissant.

La rencontre entre la prostituée prolo et l’épouse bourgeoise est au cœur de cette histoire. J’ai trouvé cette idée de la réunion de deux mondes qui s’ignorent, audacieuse et réussie.

Concernant notre thèse du jour, je dirais que cette série représente un exemple réussi d’une histoire de femmes d’aujourd’hui. Sur un sujet casse gueule, elle apporte de la fraicheur en présentant des personnages féminins complexes qui doutent, mais doués d’une volonté farouche d’avancer. Je n’imagine pas une œuvre similaire il y a 10 ans, c’est à mon sens un bon signe aussi bien pour la création que pour la libération des femmes.

Horny girls in Paris

Voici un autre ingrédient qui ajoute un peu de piment dans cette salade niçoise de meufs et d’amour, le podcast Hot Line. Ici il s’agit de propos assez crus et sans tabous sur la sexualité et les histoires de sentiments des jeunes femmes d’aujourd’hui.

Il fait très chaud dans ce studio d’enregistrement. Les animatrices, uniquement des jeunes femmes, racontent absolument tout de leurs vies amoureuses et de leur intimité.

Là aussi, c’est complètement inédit pour moi d’entendre des trucs pareils. Parfois c’est même un peu gênant, cette absence de fard assumée. En tout cas, la plupart du temps c’est drôle, bien enlevé et on apprend beaucoup de choses !

Le principe et la force de l’émission est de réunir quand même plusieurs sensibilités parmi les filles au micro. La diversité des points de vue rappelle avec intensité ce truisme : « En amour, il n’y a pas de règle absolue. Chaque relation est un monde unique à part entière. »

Mon côté centriste revient au galop et une antithèse, en contradiction avec mon propos précédent vient pointer le bout de son nez. Des fois j’ai l’impression que c’est plus fort moi, il faut toujours que j’observe les 2 côtés d’une même pièce quitte à dire ensuite une chose et son contraire.
D’ailleurs c’est un peu fatigant à la longue parfois, mais bon il faut s’accepter comme on est, c’est Hot Line qui l’a dit.

Le revers de la médaille donc, c’est que ce podcast a aussi un côté « élitiste de la baise ».
On y entend par exemple que l’idéal pour une femme libérée est de naviguer entre 5 ou 6 sex friends pérennes afin de trouver son compte sur tous les plans (hot ou calin, complice ou sportif … etc.).
Évidemment l’homme qui réunit toutes les qualités requises d’un bon partenaire n’est pas encore né, alors autant piocher parmi les qualités individuelles de chacun.
Et surtout, c’est plus safe que les apps de rencontres Q quand on a chaud dans la culotte et qu’on ne peut pas attendre.
Peut-on vraiment imaginer que ce discours soit audible par toutes les jeunes femmes ? Notamment les plus fragiles, en construction.

En tous cas, cette émission est un autre marqueur de la libération de la parole actuelle.
Si ça choque, on n’écoute pas et puis c’est tout.

Je pense que l’effet collectif a un effet régulateur et globalement les propos excessifs sont toujours remis en perspective par la bande de copines.

Le credo de Hot Line, bien en ligne avec le Zeitgeist, est : si tu fais A c’est OK, mais si tu fais B c’est OK aussi.
Tout est OK, il faut simplement s’assumer comme on est.
« C’est OK », au-delà de l’aspect un peu naïf et simpliste de l’adage, il y a une véritable sagesse dans cette acceptation.

La tolérance comme programme de vie, je n’y retrouve rien à redire.
(Ben voilà on finit quand même par une synthèse positive !)

Le cercle des poètes hypocrites

Après ce long préambule, fait de tapas variés et savoureux, venons-en au plat principal. Au final, c’est la nouvelle d’Arthur Schnitzler « La ronde » qui a cristallisé le mouvement de ma pensée.

Pendant longtemps je ne connaissais que la sublime adaptation de Max Ophuls, l’un de mes cinéastes préférés.

La Ronde de Max Ophuls

J’ai trouvé ce site qui le diffuse gratuitement en streaming.
Faut pas rêver, la qualité est pourrie mais ça permet de se donner une idée de l’époque où les films pouvaient être de véritables œuvres d’art :

Plus près de nous, un autre de mes cinéastes préférés, Stanley Kubrick, a lui aussi tourné un chef d’œuvre en adaptant une autre nouvelle de Schnitzler (Traumnovelle) : Eyes Wide Shut.

A la vision de ce film à sa sortie en 1999, dans une salle de Montparnasse, j’ai sans doute assisté à la forme de cinéma la plus pure et la plus absolue de ma vie.
Maintenant qu’il n’y a plus de film tourné en pellicule et que le numérique a gagné la partie, je ne crois plus jamais voir à l’écran un grain de peau vibrer sur la toile comme le cœur battant de son héroïne.

Intéressons-nous donc à l’auteur qui a inspiré ces immenses artistes.

Arthur Schnitzler est un écrivain juif autrichien de la Vienne impériale des Habsbourg. Médecin de formation, il a su dépeindre avec acuité et sincérité les mœurs amoureuses de ses contemporains.

Cette émission décrit sa vie et son œuvre :

https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/arthur-schnitzler-1862-1931

La ronde est un petit bijou de comédie qui se base sur une mécanique très efficace.
Pour aller vite, tout le monde est obsédé par le sexe mais la société bourgeoise et patriarcale oblige les hommes et les femmes à cacher ces envies afin de jouer un rôle social respectable. C’est une mascarade pleine d’hypocrisie qui anime ces personnages, mais le résultat est plein d’humour et de sagesse.

Deux extraits vous donneront peut-être envie de (re)découvrir cette nouvelle.

Dans le premier épisode, on observe l’hésitation d’une jeune femme mariée qui résiste à se laisser conquérir par un soupirant.

LE JEUNE MONSIEUR : Je vais vous dire une chose, Emma. Si vous avez honte d’être ici… si je vous suis à ce point indifférent… si vous ne sentez pas que vous êtes pour moi toute la félicité du monde… alors, il vaut mieux que vous vous en alliez…

LA JEUNE DAME : C’est ce que je vais faire en effet.

LE JEUNE MONSIEUR, lui prenant la main : mais si vous sentez que je ne peux pas vivre sans vous, qu’un baiser sur votre main est plus pour moi que toutes les caresses de toutes les femmes de la terre… Emma, je ne suis pas comme les autres jeunes gens qui savent faire la cour… je suis peut-être trop naïf… je…

LA JEUNE DAME : Et si vous étiez tout de même comme les autres jeunes gens ?

LE JEUNE MONSIEUR : Alors, vous ne seriez pas ici aujourd’hui… car vous, vous n’êtes pas comme les autres femmes.

LA JEUNE DAME : Comment le savez-vous ?

LE JEUNE MONSIEUR, l’attirant vers le canapé et s’asseyant tout près d’elle : J’ai beaucoup réfléchi sur vous… Je sais que vous êtes malheureuse.

LA JEUNE DAME est ravie.

Dans l’épisode suivant, notre jeune dame est rentrée au domicile conjugal. Après l’avoir délaissé pendant une longue période, son mari est entreprenant ce soir. Mais lors de ses manœuvres d’approche, la discussion a malheureusement dévié vers le sort des filles de joie sur lesquelles il doit s’expliquer à sa jeune épouse.

L’EPOUX : Les multiples aventures par lesquelles nous avons dû passer avant le mariage nous ont donné des idées confuses et bien flottantes. Vous entendez beaucoup de choses, vous en savez trop et vous lisez plus qu’il ne faudrait ; malgré cela, vous ne pouvez pas vraiment savoir ce que nous vécu, nous les hommes. Et je t’assure qu’il y a de quoi être dégoûté de l’amour quand on connaît le genre de créatures auxquelles nous sommes condamnés.

LA JEUNE DAME : Ah bon ! comment sont-elles ces créatures ?

L’EPOUX, lui baisant le front : Mon petit, estime-toi heureuse de ne pas te rendre compte de leur situation ! Du reste, la plupart d’entre elles inspirent la pitié… et il ne faut pas leur jeter la pierre.

LA JEUNE DAME : Je t’en prie… cette pitié… ne me paraît guère à sa place.

L’EPOUX, avec une noble mansuétude : Si, elles la méritent. Vous, les jeunes filles de bonne famille qui avez grandi sous l’œil vigilant de vos parents, en attendant l’homme d’honneur qui vous épouserait, vous ne pouvez pas comprendre la misère qui fait sombrer la plupart de ces malheureuses dans le péché.

LA JEUNE DAME : Alors, elles se vendent toutes ?

L’EPOUX : Ce n’est pas ce que je dis. D’ailleurs, je ne parle pas uniquement de la misère matérielle… Mais il y a aussi… comment dirais-je… une misère morale, une manière défectueuse de comprendre ce qui est permis, et surtout de concevoir le bien.

LA JEUNE DAME : Mais pourquoi sont-elles à plaindre ?… car elle s’en sortent très bien, non ?

L’EPOUX : Tu as de drôles d’idées, mon petit. N’oublie pas que ces créatures-là sont fatalement condamnées à tomber toujours plus bas ! Impossible de s’arrêter sur la pente.

LA JEUNE DAME, se serrant contre lui : La chute a l’air d’être assez agréable.

Il est intéressant de connaître la naissance de cette œuvre. La ronde a été écrite par son auteur en 1900 et publiée hors commerce à seulement 200 exemplaires. Schnitzler ne fait que partager avec ses amis son texte, il est conscient que la censure de l’époque l’empêchera d’atteindre le grand public.

Ce n’est qu’en 1920 que la première mise en scène a lieu à Berlin puis à Vienne. C’est alors une véritable émeute qui est provoquée dans le théâtre par cette satire grinçante. Sous fond d’antisémitisme rampant, les ligues de vertu s’abattent sur Schnitzler. L’auteur annule les représentations pour apaiser les passions.
La pièce ne sera de nouveau jouée qu’en 1981, une fois tombée dans le domaine public.

So what’s next ?

Il est toujours utile de prendre un peu de perspective historique pour mesure le chemin parcouru des avancées sociales.
Je ne doute pas qu’il y ait encore de nombreux combats légitimes à mener sur le champ des rapport amoureux d’Homo sapiens. Mais quand même, en Europe de l’Ouest, on n’est pas si mal lotis en 2022.

Aussi je m’interroge sur le sens des mouvements de contestation actuels. Lesquels sont pertinents et nécessaires ? Lesquels font fausse route ?

#metoo, le mariage pour tous, la manif pour tous, LGBTQQI2SAA, l’homophobie, les mères seules, les apps de rencontres, la fluidité de genre … etc.
C’est quand même le bordel dans nos relations sentimentales et il faut s’accrocher pour suivre.

Évidemment l’avancée vers plus de tolérance et d’acceptation des différences est un objectif louable en soi.
Mais je ne cesse de m’inquiéter de la montée concomitante du camp de la peur.

L’extrême droite et sa vision si étroite de la vie n’a jamais été aussi élevée en France.
Vladimir Poutine a construit sa propagande guerrière sur cette idée d’être le dernier défenseur du modèle traditionnel de la famille face à un occident décadent.

Ce serait trop simple d’écarter cette radicalité puritaine d’un revers de main, qui se croirait progressiste.
Il y a derrière ces prêcheurs de haine de nombreuses personnes qui adhèrent d’autant plus à cette vision conservatrice qu’elles sont complètement déboussolées par les nouvelles libertés de mœurs.

Il faut chercher à comprendre les ressorts cachés de ces gens et ne pas les stigmatiser en bloc, sans effort supplémentaire.
Si on ne comprend pas les arguments des traditionalistes, on ne construira jamais une société apaisée.

Plus que jamais l’éducation, le savoir et l’expérience de l’altérité sont les meilleurs atouts pour comprendre et naviguer dans le monde fou dans lequel nous vivons.

Il y a un siècle, un artiste lucide était bâillonné par la censure car il mettait le doigt où ça faisait mal, en peignant un modèle patriarcal injuste et hypocrite.

Aujourd’hui ce n’est pas tant la censure que la profusion de sources d’information qui est à craindre. Nous ne savons plus où donner de la tête avec ces toutes ces voix qui s’entrechoquent sur nos écrans.

Plus que jamais, le discernement est à enseigner à nos enfants. L’esprit critique est une valeur cardinale en ces temps de confusion généralisée.

La seule conclusion valable, que je trouve à ce sujet qui me dépasse, est cette phrase de Saint Augustin que j’aime tant.

Alors en ce 5e dimanche du carême de l’an 2022 :

« Aimes et fais ce que tu veux »

Partage:
Pin Share