Le bonheur est dans la prairie

Le festival Rio Loco et comme ma deuxième maison.
Je m’y sens chez moi.
Cela fait 20 ans que j’arpente la Prairie des Filtres, chaque année ou presque, en recherche de bons sons à l’approche de l’été.
Ce recul me permet d’apprécier les évolutions de cet événement majeur de la nuit toulousaine.

Comme un concentré de notre société, le festival musical et un bon laboratoire pour analyser les tendances de fond de notre époque.

C’est bizarre je suis venu pour me détendre et écouter de la musique.
Après des journées intenses à travailler au bureau, ce bol d’air et cette ambiance me semblaient propices à la décompression.
Mais très vite, l’envie de capturer les sons et les images reprend le dessus.
J’ai en moi ce besoin frénétique de fixer mes sensations dans un média.

Allez hop, on sort le smartphone de sa poche et on enregistre.

Je regarde autour de moi et je sens de la joie parmi la foule.
Décontractés, les petits groupes de tous âges sont assis en tailleur dans l’herbe.
Pour démarrer, nous avons droit à un show étrange de « Don Maricón numero Uno ».

Au final, les percussions et le son tribal de sa supplique pour la tolérance emporte mon adhésion.
Mais c’est aussi pour ça qu’on est là.
Rio Loco est là pour nous bousculer.
La programmation éclectique nous permet de toujours faire des découvertes.
Élargir le champ de l’audition en empruntant de nouveaux chemins musicaux.

Rodrigo Cuevas

En tournant la tête vers la Garonne, on voit du ski nautique, pardon du wakeboard.
Les enfants courent de droite à gauche et frôlent les moins jeunes assis dans l’herbe.
C’est beau cette insouciance.
Dans le ciel, les étourneaux volent en escadrons serrés juste au-dessus de nous.
Ils filent tout droit, pile au-dessus du concert.
Quand je vois cette splendide chorégraphie, j’ai la certitude que les oiseaux aussi kiffent cet instant.
La démonstration est faite que les passereaux aussi aiment la musique et la fête.

Sentiment fugace d’unité avec le cosmos.

Il ne fait pas trop chaud au bord de l’eau, le fleuve est très calme.
À Toulouse, nous ne sommes pas très loin des Pyrénées et c’est bien entendu la Garonne qui fait le trait d’union
S’il pleut fort en montagne un jour, le lendemain la ville rose verra son fleuve animé avec un courant puissant, qui s’exprime mieux que tout au niveau de la chute du Bazacle.

La chûte d’eau du Bazacle à Toulouse

Aujourd’hui, en période de canicule, l’eau est tellement calme que le flux semble aller à rebours du sens d’écoulement!
En effet les reflets du soleil sur l’eau donnent cette impression que le courant est à l’envers.

Le grand confort

En 2022, un festival se doit d’offrir des services, toujours plus.
Et pour plus de confort, offrons les à domicile.
Restez le cul dans l’herbe, brave peuple de la patrie fiesta, notre équipe zélée viendra à vous.

Ainsi nous avons ainsi eu droit à la visite de :

  • La brigade de la propreté (en orange)
    Ils distribuent des petits cendriers portables (très pratique)
  • Des vendeurs de bière ambulants (en jaune et noir) avec leur gros bidon sur le dos et leur pistolet à mousse
  • Des vendeurs de beuh, mais eux n’avaient pas d’uniforme
  • Des arroseurs, qui viennent vous asperger de brume d’eau pour vous rafraîchir (seulement après consentement)
  • Il y avait aussi l’équipe Main forte, beaucoup de femmes et quelques hommes, qui aident à prévenir les agressions sexuelles
  • Les équipes du Samu patrouillent également au milieu des groupes assis par terre
  • Ajoutez à cela, les vigiles en polo blanc, qui font aussi des tournées.

À un moment en dansant je cogne avec mon coude le bras d’un vigile qui s’est aventuré dans la fosse de Nova Onda.
Je sens toute la puissance du bonhomme à travers son avant-bras, qui doit avoir la taille de mon mollet.
Certains sont nés feux follets, d’autres piliers.
C’est comme ça, chacun son équipe.

Jorge Drexler joue une musique variée qui donne à entendre plein de dimension aux airs latino-américains.

Le Spanish Harlem Orchestra, ça c’est du lourd.
Nous sommes en plein dans la salsa dura de Nueva York, mais aussi dans les boléros qui ont bercé leur enfance.
Un point commun anime tous les artistes qui se produisent ce soir.
Ils sont immensément heureux de jouer de nouveau et reconnaissants au Rio Loco.
Oui tout le monde est heureux.

Il y a pourtant une ombre au tableau.
Le son de la Scène Pont Neuf est effroyable.
Même dans un festival amateur, cela ferait tâche, alors ici c’est incompréhensible.
Les basses saturent sur chaque morceau.
Une calamité.
Alors je fais cette remarque très simple:
C’est bien mignon de venir rafraîchir le public avec des brumisateurs, mais il faudrait commencer par le commencement.
Pour un Festival de musique, la qualité du son est primordiale.
Être d’abord irréprochable sur les fondamentaux.
Assurer le cœur avant de s’occuper du périphérique.

Vers 1h du matin, toute la musique s’arrête. Les bars ne servent plus de bière, ni de vin.
Pour le rhum, cela fait des années que vous pouviez oublier.
Les videurs car cette fois, il portent bien ce nom-là, bloquent l’accès vers la scène principale.
Le flux humain est orienté sans encombre vers la sortie.
La fête est finie et il n’y aura pas de prolongation.

Changement d’époque

Coïncidence amusante, j’ai regardé ce weekend le documentaire ‘Gimme danger’ de Jim Jarmusch.
L’histoire des Stooges le groupe le plus rock’n’roll qui soit, est un parfait contrepoint à notre temps actuel.
Je ne me lasserai jamais de ces hasards de la vie qui font apparaître par contraste le sens profond de notre existence.

En plein concert, un mec excité dans le public lance une bouteille de verre dans la tête d’Iggy Pop. L’iguane esquive et lui réponds: « Raté Mec, reviens la semaine prochaine pour un autre essai. »
Pas de risque que ça arrive aujourd’hui, vu que les bouteilles en verre sont interdits d’accès dans le festival.
Oui nous nous sommes bien assagis au cours des 50 dernières années.
La fête n’est plus sauvage comme avant.

Le souvenir des free party à la fin des années 90 me semble provenir d’une autre vie.


Free party :
Fête techno illégale, aussi nommée Rave, organisée de manière autonome par de jeunes collectifs dans les années 90 et début 2000.
Pour éviter les forces de l’ordre, le lieu était tenu secret et des rassemblement de voitures se faisaient sur des parking de supermarché au milieu de la campagne à minuit.
Ensuite le convoi de voiture se dirigeait dans la nuit jusqu’au lieu de rassemblement où les attendait le mur de son déjà en place.
Ce pouvait être un entrepôt désaffecté, une grange, une clairière dans la forêt qui était investie par les danseurs jusqu’à l’aube.

Le petit Robert

Epilogue

Finalement je suis retourné un troisième soir avec mon fidèle compère le Rasc pour écouter Chico César et Keziah Jones.
Il me semblait que les réglages du son étaient bien meilleurs le dimanche soir.

Malgré les genoux qui craquent, dû à la fatigue, nous passons un bon moment devant le guitariste exceptionnel du Nigeria.

En conclusion, malgré les restrictions et les règles préventives qui s’accumulent pour les festivaliers et les restaurateurs, le Rio Loco reste un grand moment joyeux de fête populaire au cœur de Toulouse.

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