Quand on est au milieu des roses, on en prend le parfum

Après avoir évoqué récemment mon film préféré, Elmer Gantry, je voudrais parler aujourd’hui de mon livre préféré : Anna Karénine.

Pendant longtemps, « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone représentait pour moi le summum dans le cinéma.
Et si je devais choisir un livre de référence, c’était « la trilogie du Caire » de Naguib Mahfouz.

Et récemment donc, le sommet de ma littérature s’est déplacé d’Égypte en Russie. Plus précisément en ce moment même puisque je suis encore en train de lire l’œuvre du géant Tolstoï.
En même temps, on ne lit pas 900 pages du jour au lendemain …

Il y a un côté satisfaisant, rafraichissant, à renouveler ses références absolues sur le plan culturel. On se dit que la vie à toujours de belles découvertes à nous offrir.

Anna Karénine

Tout commença, comme souvent dans le domaine de la lecture, avec mon ami GG. Pas Google mais l’autre, Guillaume Gallienne a enregistré une émission sur ce livre. Pour la lectrice pressée qui veut optimiser son temps et éviter de se cogner la lecture d’un tel pavé, voici donc le podcast sur ce livre :

https://www.franceinter.fr/emissions/ca-peut-pas-faire-de-mal/ca-peut-pas-faire-de-mal-10-septembre-2011

En 47 minutes, emballé c’est pesé, on connait l’essentiel de ce chef d’œuvre et ça suffit pour pouvoir briller en société en connaissant ses classiques. Efficace non ?

Je suis un peu dans une période russe en ce moment et je cherchais donc des livres russes à écouter chez Guillaume quand je suis tombé sur Anna. Au bout de quelques minutes à peine, j’eus le pressentiment qu’il y avait quelque chose d’énorme dont je ne pouvais pas passer à côté. J’arrêtais donc l’écoute du podcast en me disant : « évitons un spoil néfaste et courrons acheter le livre ! »

Et on peut dire qu’on ne s’est pas trompé.

Ce que j’aime avant tout dans la littérature russe, c’est la grandeur des sentiments. Quand on aime, on aime absolument et pareil avec la haine.

Les grands auteurs russes ont chacun leur style, mais je leur trouve quand même une caractéristique commune. Ils peignent mieux que quiconque certaines passions humaines.

Je ne vais pas faire semblant de m’y connaitre, ce serait ridicule. Je voudrais simplement partager ce constat. On peut lire des réflexions, parfois très savantes, dans des essais philosophiques. Au demeurant, j’adore la philosophie. Mais souvent c’est assommant. L’analyse peut être brillante, la sagesse profonde, mais la lecture est ennuyeuse au possible.

Par contre en lisant Tolstoï, on pénètre la profondeur de l’âme humaine comme jamais et c’est toujours délicieux à lire. Du grand Art.

De plus le principe de l’écriture en feuilletons doit sans doute beaucoup jouer dans ce rythme si agréable à suivre. Chaque chapitre ne dure que 4 à 5 pages, cela permet de structurer l’action et donne cette musique si douce à la narration.

Je ne m’imagine pas lecteur des journaux à cette époque. Devoir systématiquement attendre l’épisode suivant, ce devait être très frustrant !

Quand on pense également à Alexandre Dumas et ses 3 mousquetaires par exemple, on peut dire que le principe du roman – feuilleton n’est opposé ni à l’action, ni à la postérité de l’œuvre.

Il y a plein de choses étonnantes qui se passent quand on trouve un auteur qui nous touche au plus haut point. Par exemple, quand je lis Tolstoï, je me souviens pourquoi je crois en Dieu.

J’aime cette description d’une manière simple et authentique de vivre sa foi pour les uns, les doutes persistants qui assaillent les autres et les contradictions dans lesquelles tous se débattent.

En ce temps-là, Jésus prenant la parole, dit :
Je te célèbre, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses à des sages et à des intelligents, et de ce que tu les as révélées à des enfants !

Matthieu 11.25

Une autre grande qualité que j’attribue à Tolstoï est sa capacité de parler de toutes les couches de la société. Des princes aux gueux, toutes les classes sociales sont représentées et dépeintes avec la même dignité.

Tolstoï se met même à la place des animaux pour décrire ce qu’ils ressentent au contact des Hommes. Cela me rappelle nos répétitions de théâtre où il fallait jouer des animaux (ou des arbres), c’était bizarre comme exercice au début, mais très intéressant au final.

On ne mesure bien certains phénomènes, que par comparaison. Par exemple, quoi de mieux pour décrire l’ennui à la campagne que la description des plaisirs de la ville ?
Inversement, seuls les paysans pourront bien quantifier la stupidité des citadins quand ceux-ci traitent des choses de la terre. Ce chassé-croisé des points de vue qui donne de la perspective et de la hauteur de vue est la patte de Tolstoï.

Le Che T. à Saint Petersbourg – 1993

J’ai 42 ans. Statistiquement parlant je suis à la moitié de ma vie.
Je ne me lasse pas d’observer toutes les évolutions qui se sont produites dans mon esprit depuis que je commence à penser, disons depuis l’âge de 15 ans environ.

Par exemple à 20 ans, je n’avais que du mépris pour l’institution militaire.
Ayant formé ma sensibilité avec les écrits de François-Xavier Verschave, j’avais honte du néo-colonialisme exercé par la France en Afrique. J’admirais le capitaine Sankara et j’exécrais le général de Gaulle.
Aujourd’hui j’ai bien évolué et je trouve que l’armée est l’un des ciments essentiels de la nation française.
J’ai toujours autant de considération pour Thomas Sankara et j’en ai tout autant pour Charles de Gaulle.

Pour la chasse également, j’ai changé d’opinion depuis plusieurs années. Après avoir discuté avec des chasseurs, j’ai compris des choses qui m’étaient inconnues auparavant. Et je suis passé du mépris basé sur l’ignorance au respect d’une tradition ancestrale.

Un nouvel amoureux des militaires et des chasseurs ?
Ouille je vais perdre en quelques lignes une grande partie de mon petit lectorat !

Je reviens à Anna Karénine pour finir mon propos. Au-delà des mouvements très réussis sur la passion amoureuse, il y a aussi dans ce roman des passages très justes sur la vie à la campagne.

Honnêtement en lisant les scènes sur la chasse, j’avais envie de devenir chasseur.

En étudiant l’écriture pour le cinéma, on aborde tôt ou tard la notion d’identification aux personnages. C’est un principe incontournable.

Et bien voilà, quand on lit Tolstoï, on devient successivement chacun des personnages, même les chiens. Leurs joies sont les nôtres, tout comme leurs malheurs.

Je ne peux pas imaginer de plus belle consécration pour un écrivain, ou un artiste au sens large, que d’entrainer son public corps et âme dans son univers.

J’espère que vous êtes toujours là car la partie comique de ce blog va commencer.

Pour différentes raisons, j’avais différé le début de la lecture d’Anna Karénine après l’avoir acheté. Le roman m’attendait sagement sur l’étagère depuis plusieurs semaines et j’y jetais un coup d’œil de temps en temps pour vérifier qu’il n’avait pas bougé.

J’avais plein de bonnes raisons pour ne pas démarrer tout de suite ce roman. D’abord de nombreuses échéances au travail ne me laissaient pas trop de temps disponible.
Ensuite je devais utiliser mon temps libre pour réviser mon permis de conduire moto que je prépare en ce moment.

Et aussi, et surtout … j’avais un projet personnel, assez chronophage, que je devais achever impérativement avant le 30 avril.
Je craignais que la lecture d’un si beau roman (comme je le disais, je pressentais l’ouragan qui m’attendait) ne me détourne du droit chemin.
Quelle était donc cette tâche si importante et urgente ?

L’écriture d’une nouvelle pour participer à un concours amateur.

Je précise que c’était une grande première, je n’avais jamais écrit de nouvelle de ma vie.
Faire le mariole dans un blog c’est une chose, structurer un récit en suivant des instructions, c’en est une autre.

Je dois vous avouer que s’escrimer à écrire sa première nouvelle, quand on est un parfait débutant, et en même temps qu’on lit un chef d’œuvre absolu de la littérature mondiale, c’est … comment dire ? … déstabilisant.

Ce doit être l’exercice d’humilité le plus intense que je n’ai jamais pratiqué.
On se sent tout petit petit petit au pied de l’Empire State Building. C’est un peu pareil.

La blessure à l’amour propre était encore plus mordante il y a une semaine.
Rappel : étudier sérieusement mon penchant pour le masochisme, ça devient de plus en plus inquiétant.

J’ai vu Donbass le film qui présente la guerre civile à l’œuvre actuellement dans l’est de l’Ukraine.
Ce film hyper-réaliste est une vraie claque. Il donne une impression très crédible et très crue de toutes les atrocités qui accompagnent une guerre.

Pour comprendre mon embarras, vous devez savoir que ma nouvelle traite de l’armée et de militaires russes.
A ma gauche, un monument de la littérature plus apte à envouter qu’à motiver pour écrire.
A ma droite, un film récent si réaliste qu’il me fait sentir la naïveté de mon histoire tout à fait ridicule.

Le sentiment que j’ai ressenti était de l’ordre de la morsure d’un serpent. Aïe aïe aïe !

Je peux en parler d’autant plus facilement maintenant que j’ai été au bout de l’exercice. J’ai fini de rédiger ma nouvelle et je l’ai transmise au jury.
Alea jacta est.

J’ai été au bout d’abord car je préfère toujours finir ce que j’ai commencé. J’ai beaucoup de défauts mais je peux revendiquer au moins cette qualité: je ne laisse pas en plan les choses commencées.

Et surtout c’était un excellent moyen d’apprendre à retravailler un texte.
On supprime, on reformule, on replace, on complète.
Laisser reposer la pâte.
Reprendre une semaine plus tard la même séquence.

Rien à voir avec l’écriture d’un blog qui est spontanée et pas structurée, comme vous vous en rendez compte.

Mais à la réflexion, le plus important était la sincérité du propos.
Je me suis senti légitime pour transmettre cette nouvelle car j’y ai mis une part de moi-même et j’ai essayé de ne pas tricher.

– Ça va dire quoi tricher dans ce contexte ?
– Chhhut, il ne sait pas bien lui-même mais ça fait classe en tous cas, on garde la formule.

Reformulons. Mon histoire était la mienne et celle de personne d’autre. Ce n’est pas du plagiat, ni rien de la sorte. Ce sont simplement des expériences de vie qui m’ont inspiré.

– Là ça va, c’est plus clair non ?
– Oui c’est bon là, comme quoi des fois il vaut mieux s’y reprendre à deux fois.

Pour revenir à la morsure, le seul moment où j’ai pensé abandonner et jeter le texte à la poubelle (qui était déjà entièrement écrit), c’est quand j’ai pris la mesure de la naïveté et du manque de crédibilité d’un passage clé de mon histoire, suite à la vision de Donbass comme je le disais.

Quand je regarde un film ou que je lis un livre, je déteste ces moments auxquels je ne crois pas et qui me font décrocher de l’illusion dans laquelle le récit m’avait transporté.
Le réalisme ou en tous cas la vraisemblance est essentielle pour moi.

Pour me sortir du guêpier, je n’ai pas réussi à remplacer le passage faible mais j’ai beaucoup retravaillé tout ce qu’il y avait autour. Et ça me semblait plus acceptable comme ça.
Autrement dit, j’ai mis beaucoup de chocolat autour de la goutte de liqueur pour la faire passer.

Le mieux est l’ennemi du bien.
Il faut donc accepter ses propres limites quand on démarre une nouvelle pratique.
Pour autant il ne faut pas renoncer à les repousser ses limites.
On y va par étapes tout simplement, comme dans un grand voyage.

C’est la fin de cet article sur la Russie, une terre immense, un peuple qui me fascine.

Tolstoï, père et fils
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